Les Touaregs

Pour le dictionnaire le Désert est un lieu vide qui n'est pas habité. Ceci n'est pas tout à fait vrai grâce à une poignée d'hommes qui a su mettre en oeuvre des stratégies pour s'adapter à un milieu extrème et survivre. Le nomadisme est l'une d'elles.

Les clichés occidentaux propagent l'idée que les nomades vivent libres par rapport à l'espace et au temps, affranchis des contraintes des hommes sédentaires coincés entre le travail et la maison.

Mais la réalité est tout autre. Les nomades sahariens sont avant tout des pasteurs contraints de se déplacer pour assurer la subsistance de leurs troupeaux, ce qui entraine une grande dispersion des tribus toujours à la recherche des meilleurs paturages. Les nomades vivent dans une région qu'ils aiment et s'ils la quittent , c'est sous la pression de contraintes très fortes. Les déplacements sont réguliers et les itinéraires répétitifs se trouvent à l'intérieur d'une région bien définie. Le nomadisme n'est pas une errance.

Les nomades vivent des troupeaux et sont liés à une nature imprévisible. L'eau et les paturages indispensables aux hommes et aux troupeaux sont sont renouvelés chaque année de manière très variable.

Le nomade apparait en fait comme l'homme affronté aux riques naturels sans compter celui de représenter pour les gouvernements une humanité archaïque sortie directement du néolithique et qui doit s'intégrer au monde moderne qui ne peut être que sédentaire.

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La dispersion explique en partie la caractère original de la société nomade où il n'a jamais existé de pouvoir central fort. Il y avait bien des chefs, aménokal chez les Touaregs, derdé chez les Toubous, mais c'était des chefs choisis par consensus au terme d'interminables tractations et aux pouvoirs limités.Ne constituant pas de véritables nations les sociétés nomades saharienne furent jusqu'à la colonisation de veritables sociétés sans Etat qui s'autorégulaient dans une sorte d'anarchie ordonnée.Ceci permet peut être d'expliquer la fascination qu'exerce aujourd'hui le désert et ses populations sur les citadins occidentaux que nous sommes, et notre désir de rencontre avec ces nomades et leur mode de vie.Le monde des sédentaires, ce qu’on nomme généralement la civilisation, ne pourra survivre que s’il emprunte aux nomades une certaine manière de vivre, qui est faite de simplicité et d’endurance, parfois d’ascèse. De toutes ces sociétés nomades celle des Touaregs est certainement la plus connue car la plus médiatisée, héritiere d'une culture qui fascine les européens depuis le XIX eme siècle.
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Le fuseau Touareg. (source : E. Bernus)

Un pays Touareg ?

Il n'existe pas à proprement parler de pays Touareg. Ceux-ci sont répartis aujourd'hui dans cinq pays, deux tournés vers la Méditérranée : Algérie et Libye, et trois tournés vers l'Afrique noire : Niger, Mali et Burkina Fasso.Cependant Théodore Monod a proposé un autre découpage du Sahara suivant le sens des méridiens. Il est composé d'une alternance de "fuseaux" constitués soit de zones hyper désertiques comme l'ensemble Majâbat al Koubrâ et Tanezouft ou bien le Ténéré soit de domaines culturels homogènes. Il identifie notamment trois fuseaux culturels : le fuseau Maure, le fuseau Touareg et le fuseau Teda-Daza.Le fuseau Touareg comprend les massifs du Hoggar, de l'Aïr et de l'Adrar des Ifoghas ainsi que les différents Tassilis et s'enfonce au sud jusqu'aux savanes du Sahel.Installés dans cet environnement particuliérement aride les Touaregs ont développé un mode de vie basé sur un pastoralisme nomade.
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Ce fuseau Touareg constitue un pont et le principal axe de liaison entre le Maghreb et l'Afrique noire qu'empruntaient autrefois les caravanes. Jusqu'au début du XX siècle le contrôle de ces échanges commerciaux constuait un des socles de la société touaregue. Le pays touareg n'a jamais constitué un obstacle aux caravanes mais a joué un rôle de filtre sécurisateur de sorte que le commerce entre la Méditérannée et l'Afrique noire n'a jamais été interrompu.Les Touaregs ont constitué un trait d'union entre ces deux mondes.
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Organisation politique

Une des caractéristique du monde Touareg est une organisation politique fondée suivant un modèle pyramidal qui varie très peu, basé sur une hiérarchie sociale qui va d'une aristocratie guerrière (imajeghen) au monde des serviteurs (iklan) en passant par les religieux (ineslemen) et les guerriers vassaux (imghad). Au sommet l'aménokal possesseur d'un ettebel (tambour de guerre) qui représente le pouvoir était toujours choisi dans une tribu de l'aristocratie guerrière, mais son pouvoir n'était pas héréditaire. Les artisans (inadan) qu'on a l'habitude d'appeler forgerons, forment une catégorie à part.

Les composants varient en importance . Les religieux sont par exemple majoritaires chez les iullemmeden Kel Denneg alors qu'ils sont minoritaires chez les kel ahaggar où Inversement les imghad sont les plus nombreux. Mais cette organisation se retrouve dans toutes les confédérations touaregues.

L'élément de base est la tribu (tawshit) qui réunit des membres se reconnaissant une même origine ou un ancêtre commun. L'importance de chaque tribu est aussi variable, pouvant rassembler de quelques dizaines à quelques centaines voir milliers de personnes. Les divers campements d'une même tribu partagent la même aire de nomadisation, appartiennent au même ettebel et se réfèrent à la même catégorie sociale.

Au fil des migrations et des guerres les différents groupements politiques se sont constitués avec des éléments qui diffèrent par leur origine, leur date d'arrivée et les conditions de leur intégration.
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L'histoire de ces groupes Touaregs nous a été rapportée dans un premier temps essentiellement par les administrateurs coloniaux. Ceux-ci, le plus souvent issus de l'aristocratie française se sont intéressés uniquement aux récits des aristocrates Touaregs, occultant ceux des autres catégories et ont fortement accentué le rôle des tribus nobles dans l'organisation politique. Cette vision superficielle amena même à parler d'un "féodalisme nomade" et à établir un parrallèle entre la société des "seigneurs du désert" et celle de l'Europe médiévale.Depuis peu des auteurs ont étudié l'histoire des confédérations touaregues en se basant sur les traditions orales des tribus vassales (Dag-Ghali chez les Ahaggar, Pandolfi 1998) ou des religieux (histoire des Kel Denneg, Ajolaly 19975). Ces études ont permis une vision moins stéréotypée, montrant le rôle et l'importance de chaque catégorie sociale. Un autre type d'organisation sociale qui contrebalançaient l'organisation pyramidale est notamment apparu chez les touaregs Iullemmeden.

Les Touaregs et nous >>

Cependant cette forme d'organisation politique ne constitue plus désormais qu'une façade conservée par l'administration et ne représente plus le cadre dans lequel la société touaregue peut se reconnaître. C'est donc ailleurs que les Touaregs vont rechercher le système de valeurs qui va permettre de les situer par rapport aux autres.

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Identité touarègue

Les Touaregs sont connus sous une appellation qui leur est étrangère et qui n'est utilisée que par les étrangers.Selon Hélène Claudot-Hawad le terme Touareg aurait été forgé à partir du berbère "targa" qui signifie "le canal", "le creux de la vallée" et constitue l'appellation locale du Fezzan en Libye. De ce nom de lieu les voyageurs arabophone ont fait un nom de population repris plus tard par les occidentaux qui l'ont orthographié touareg. Selon Henri Duveyrier il proviendrai de la racine d'un mot arabe: "les arabes ont donné à nos tribus le nom de Touâreg et à notre langue celui de târguïa, du participe arabe târek, au pluriel toûareg qui signifie les "abandonnés de Dieu" sous-entendu parce que nous avons, pendant longtemps, refusé d'adopter le religion que les arabes nous apportaient. Mais ce nom, qui nous rappelle une situation ancienne dont le souvenir est aujourd'hui injurieux pour nous, n'a jamais été celui de notre race." (Henri Duveyrier. Les Touaregs du nord).

Les Touaregs se désignent eux-même par une appellation qui est commune à la plupart des populations de langue berbère. "Nous sommes Imûhagh, disent les Azdjer, Imocharh disent les Ahaggar et les Aouélimmiden, Imâjirhen disent les Touaregs de l'Aïr. La langue que nous parlons s'appelle temâhaq ou temâcheq selon les dialectes. Ces cinq mots, qui sont les noms de notre race et de notre langue, dérive de la même racine, le verbe iohagh, qui signifie : il est libre, ,il est franc, il pille." (Henri Duveyrier. Les Touaregs du nord).

Ces termes, Imajaghen dans l'Aïr, Imuhag dans le nord, font référence à la culture et au comportement qu'elle induit.L'identité Touaregue ne s'exprime pas par une couleur de la peau où par un type morphologique mais par une unité culturelle.

Selon Hélène Claudot-Hawad cette identité est definie par le terme temust n imajaghen. Temust signifie le corps social auquel se rattachent les individus, liés par la même identité culturelle et politique. Les traits retenus pour définir cet ensemble sont : la langue, le mode de vie, le système de valeur et l'organisation politique.Temust n imajaghen définit les contours du monde touareg, un groupe humain parlant la même langue, suivant le même code de l'honneur guerrier, possédant les mêmes références culturelles et organisé suivant un système confédéral.La société touaregue est avant tout un fait culturel et linguistique.

On peut devenir Touareg, c'est le cas des serviteurs et anciens esclaves qui ont adopté le mode de vie de la société qui les a absorbés. On peut aussi quitter les Touaregs, c'est le cas des tribus qui vivent dans les zones marginales et qui, en se sédentarisant, sont immergées dans les populations qui les environnent et perdent leur langue.

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"Etre Touareg, c'est savoir rester à sa place, c'est se comporter comme la société attend que vous vous comportiez, en fonction de votre age, de votre sexe, ou de votre rang. Ne pas se conformer à ces règles, c'est aller au devant de l'exclusion."

Les Touaregs possèdent un code du comportement appellé "Tekarakayt" et qui est souvent traduit par "réserve" ou "pudeur". C'est peut être cette retenue qui pousse l'homme à porter le voile et à rester à sa place.

Le port du voile, le taguelmust, est un des éléments d'identité les plus forts, communs à tous les Touaregs. La manière de le porter permet de s'identifier à une région. Le port du voile intervient après la puberté quand le jeune homme est jugé apte à tenir son rang d'adulte et qu'il le prouve en subissant certaines épreuves.

Les gestes associés à ce port du voile susbsistent encore comme une expression du code de l'honneur reproduisant les significations ancestrales. Ainsi en présence d'une personne qu'ils respectent, les Touaregs ont un réflexe : tirer sur les pans mobiles du voile pour dissimuler leur visage.

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Origines des touaregs

Avant les Touaregs les légendes et les mythes font mention de gens à l'esprit borné parlant la langue tamajeq dans un dialecte spécial et grossier. Ces populations appellées "hommes d'autrefois", les Kel Iru puis les Isebeten sont peut être les ancètres des tribus vassales, les tribus nobles descendant elles des migrations plus récentes. Beaucoup de puits encore en usage sont réputés avoir été creusés par les Kel Iru.

L'Aïr est occupé avant les Touaregs par des populations noires dont on ne sait pas grand chose. Certains groupes parlaient peut être un langage proche du Songhay qui est considéré comme une langue archaïque par les linguistes et qui a pu être étudié dans quelques communautés présentes au sud ouest du massif. D'autres groupes de langues Houssa et vivant au Nigéria estiment être originaire de l'Aïr.

"Si tu nous demandes de mieux préciser les origines de chaque tribus, et de distinguer les nobles de serfs, nous te dirons que notre ensemble est mélangé et entrelacé comme le tissu d'une tente dans lequel entre le poil de chameau avec la laine de mouton. Il faut être habile pour établir la distinction entre le poil et la laine, cependant nous savons que chacune de nos nombreuses tribus est sortie d'un pays différents." (Henri Duveyrier. Les Touaregs du nord).

Les Touaregs rassemblent des populations venues souvent par petits groupes du nord du Sahara et qui ont absorbé les populations locales. Il s'agit d'un véritable brassage humain.

Jeunes écolièrs de l'école de Chin Fanghalan (Azawagh - Niger).