La domestication

Vers 6500 ans BP, à la fin de l' aride mi-Holocène, peut être même avant, les sociétés vivant en Afrique, Sahara et Afrique de l'est, font l'acquisition de la domestication du boeuf, du mouton et de la chèvre.
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Alors partout dans le Sahara des populations de pasteurs, qui sont aussi des artistes accomplis, se répandent. Tous ces pasteurs partagent les mêmes grands traits de civilisation, cependant, préfigurant la mosaïque ethnique de l' Afrique, quelques groupes se distinguent et se trouvent aux origines de peuples actuel.Au cours de l' humide néolithique l' humidité va se localiser et transformer le Sahara en une multitudes de climats régionaux, alternant des zones verdoyantes et des espaces plus sec. L' homme et l' animal vont partager les mêmes territoires ce qui va favoriser l' apprivoisement.Dans les massifs centraux sahariens ainsi qu' au Sahara oriental (Tibesti, Ennedi, Soudan) de nombreux sites archéologiques ont été découverts. Ces sites ont livré des restes osseux de bovins, voir même des squelettes entiers dans l' Aïr. Ces bovins sont supposés domestiques d' après leur taille et la forme des cornes. Les datations situent ces restes entre les VII et V millénaires BP (6 300 BP pour l'Adrar Bous).
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Les premiers boeufs domestiques.


Un  moyen de dater le début de la domestication est de rechercher dans les vocabulaires des langues parlées par les populations du néolithique des termes qui l' évoque. La linguistique permet de reconstruire à partir de la diversité des langues actuelles la langue disparue dont elles dérivent à la manière de dialectes.
Le Nord-Soudan et le désert Libyque participent de la zone originelle de deux grans groupes linguistiques africains  : Afro-Asiatique (auquel appartient le Berbère), Nilo-Saharien (auquel appartiennent le Teda-Deza et le Songhai).
Les linguistes ont pu reconstituer l' histoire des arbres linguistiques de chaque groupe et dater de manière approximative l' époque où est apparue chacune des branches à l' aide d' une technique appelée "Glottochronologie". Des mots pour "traire", "lait" ont été retrouvés dans les proto-langues Afro-Asiatique et Nilo-Saharienne aux environ de 9000 BP. Ces données correspondent aux dates proposées par certains préhistoriens pour une origine indépendante de la domestication des bovins en Afrique (extrème sud de l'Egypte, région de Nabta Playa). 
Cependant aucune datation validée de fouille archéologique ne vient acréditer cette thèse, nulle part au Sahara central on ne connait de bovinés domestiques avant le cinquième millénaire.  
 
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Origine et diversité des Bovinés - C. Guintard, J.-P. Mangin et Y. Lignereux
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Pis gonflé d'une vache avec 11 tétines - Ti-n-Terirt.

Les bovins domestiques ont leurs racines dans les aurochs. Les études archéozoologiques récentes ainsi que l'avénement de la paléobiologie et des analyses d'ADN indiquent que la domestication de l'Aurochs aurait débuté il y a 9000 ans au Proche Orient et au Pakistan pour le zébu. Les premières vaches domestiques auraient été importées dans d'est en ouest en provenance du Levant. Leur développement se serait fait au rythme de celui des populations humaines du Néolithique. 
L'étude de la morphologie et de la taille des bêtes met en évidence deux phénomènes. Le premier  montre que les phalanges postérieures des bœufs domestiques deviennent plus trapues et ressemblent aux antérieures. Ce changement correspond à une réponse mécanique du squelette en cas de mise en charge sur le dos des animaux ; ces bœufs ont donc été utilisés pour porter des charges pesantes, les bêtes peuvent être énormes (parfois plus grandes que les aurochs). L’usage des bêtes pour le transport et le travail de force (bâts et traction) est donc très ancien. Ensuite, deuxième évènement, les âges d’abattage de ces bovins impliquent une exploitation du lait.
Ces éléments issus de fouilles menées au Proche Orient peuvent être appliqués au Sahara et sont notamment validé par l'art rupestre.
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Source Jean-Loïc Le Quellec, « Périodisation et chronologie des images rupestres du Sahara central », Préhistoires Méditerranéennes : http://pm.revues.org/715

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Certain boeufs sont montés par des femmes. Des paquetages sont fixés entre les cornes.
On peut émettre l’hypothèse que cette domestication des bovins a eu pour origine une exploitation des “produits du vivant”, donc de la force des animaux et de leur lait. source : archeorient
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La domestication n' est pas un événement survenu brusquement. Durant les premières phases de l'Holocène, il n'y a pas encore de véritable domestication du bétail, mais des relations homme-animal sans doute de plus en plus suivies s' établissent sans que l' on puissent vraiment les définir. Ces relations prendront une place économique et symbolique essentielle quand les conditions climatiques se feront plus défavorables. La domestication ne relèvent pas uniquement de la technicité, elle est aussi question de convivialité entre homme et animal.Ce phénomène nouveau s' intègre en fait dans un processus déjà très ancien.
Quelque soit la date exacte d' apparition d' espèces domestiques, il apparaît qu' elles n' ont été adoptées par les populations sahariennes que par ce que ces dernières avaient accumulé une expérience vieille de quelques milliers d' années en matière d' attention aux animaux. Le Sahara à cette époque est une steppe subdésertique, habitée et exploitée par une organisation économique de nomadisme pastoral extensif de la mer rouge à l' atlantique. L' abondance des sites archéologiques reflètent des groupes qui nomadisent dans un territoire, relativement important mais fixé. Les systèmes d' alliances et de mariages inter-groupes, assurant leur survie ont probablement favorisé la diffusion de certains styles artistiques.

L' explosion artistique de la période bovidienne correspond à l' émergence d' une idéologie fondée sur le pastoralisme.
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Cornes en forme de lyre. Aramat.
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Corne unique en avant. Ta-n-Toudouft.
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Bovidé acère (sans cornes).

Représentation des boeufs.

Dans un même troupeau les formes des cornes peuvent être très variables : des bêtes acères (sans cornes) côtoient d' autres animaux avec des cornes en avant ou en forme de lyre. On est frappé par la variété du cornages de ces boeufs mais, de nos jours, les Peuls du Burkina n' ont pas moins de douze termes pour désigner les formes des cornes de leurs bêtes.

Deux éléments ressortent dans les différentes images des bovidés : les cornes et le dessin de la robe.Les cornes sont un exemple de l' évolution de la sculpture vers la représentation en deux dimensions avec toutes les difficultés de la perspective. La représentation en 2D nécessite d' apprendre à regarder afin de pouvoir reproduire fidèlement.

Généralement les boeufs sont représentés de profil alors que le cornage est vu de face ou de trois-quarts. On note une évolution dans la représentation des cornes. Au Messak, en Libye, les cornes sont courtes et robustes, disposées en tenaille. Ce port est plutôt celui de l'auroch sauvage. On trouve ensuite des boeufs avec une corne unique dirigée vers l' avant et souvent une extrémité bifide. En fait c' est la vue de profil des deux cornes parallèles.
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Cornes courtes et épaisses. Ennedi.

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Cornes pendantes. Tadrart.
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Vache unicorne. Une des plus belles figuration de bovin de Jabbaren.
Toute le monde a été frappé par ces boeufs aux cornes pendantes, présents dans la plupart des massifs. La représentation en est peut être exagérée, il doit être difficile de brouter avec un tel cornage. Cependant on trouve dans les troupeaux actuels du Mali des animaux possédant des cornes pendantes. Ces animaux ne représente qu 'à peine 1 % du troupeau. Le caractère est transmissible et ne résulte pas d' une maladie ou d' une déformation provoquée par l' homme. Ces animaux rares sont particulièrement appréciés et on peut penser que dans l' imaginaire des hommes du néolithique ils devaient aussi tenir une place importante, ce qui explique la fréquence dans les figurations.

Enfin ce sont les longues cornes en forme de lyre qui atteignent le summum de la diversité. Elles rehaussent les peintures d' une touche esthétique certaine.

Les peintures rupestres montrent une véritable sculpture du cornage, parfois de la plus haute fantaisie, mais toujours d' une grande élégance. Les pasteurs pratiquaient la déformation des cornes. Des crânes de boeufs retrouvée lors de fouilles au Soudan présentaient des déformations, témoins du rapprochement des cornes afin de les rendre parallèles. Cette pratique zootechnique est encore d' actualité chez des populations de pasteurs de l' Afrique de l' est.

On retrouve ces boeufs avec de grandes cornes en forme de lyre le plus souvent croisés avec des zébus originaires d' Asie dans les plaines sahéliennes entre les mains de pasteurs, notamment des Peuls Bororo.
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Les deux principaux éléments qui permettent d' affirmer que des boeufs sont domestiques sont : la présence de mamelles volumineuses et la couleur de la robe. En effet les robes des bovidés domestiques présentent des dépigmentations qui sont absentes chez les animaux sauvages.

On relève dans les peintures des dépigmentations de plusieurs types : dépigmentation latérale (une ligne sur le dos garde trace de la couleur d' origine), panachage irrégulier, ceinture et tête blanche.

Les peintures rupestres montrent des robes avec des dépigmentations que l' on peut retrouver encore aujourd'hui dans les troupeaux, ce qui montre le caractère très naturaliste de ces peintures de la période bovidienne.
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